Yvan Colonna, chronique d’une mort annoncée ?

Publié le par Roseau

Le procès en appel doit-il donner à espérer, à désespérer, à cultiver une haine farouche des institutions, à cultiver une apathie sans porte de sortie, un esprit amer, revanchard, un détachement serein, une exaspération contenue ? Sa mort (ou son remplacement juridique, la perpétuité) est-elle déjà inscrite au registre des jugements sans surprises ?

On pourrait penser que ça commence mal... Comme la première instance a mal fini.

A moins que ce ne soit un bon présage. Le juge de première instance était gentil, comme un agneau. Jusqu’au verdict. Le second semble avoir moins de patience. C’est pas plus mal. C’est plus combatif.

Mais difficile tout de même d’avoir de l’espoir. L’espoir d’un jugement impartial et honnête. Surtout si l’on ne définit pas l’honnêteté nécessaire à ce genre d’histoires.

C’est vrai, en première instance, amis et famille d’Yvan Colonna s’étaient succédés à la barre pour témoigner de son caractère intègre et étranger à toute forme de violence meurtrière. Et c’est vrai que ça n’avait servi à rien (ou à pas grand chose en tout cas).

Aujourd’hui, lorsque Yvan a dit "Que je sois un bon ou un méchant garçon, un bon ou un mauvais époux, ça n’a aucune importance. La seule question, c’est celle-ci : suis-je innocent ou pas ?", je me suis dit que si c’était effectivement la vraie question, nous étions maintenant arrivés à un point ou existait une question plus fondamentale : peut-on juger un homme uniquement sur l’intime conviction du juge ?

Pourquoi cette question serait-elle plus fondamentale ?

Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’un juge peut être soumis à des pressions (et franchement je ne sais pas si ceux-ci le sont). Ou à ses propres opinions...

Ensuite parce que bien entendu, le jugement de première instance n’a fait apparaître aucune preuve. Au contraire, les deux seules personnes qui ont vu l’assassin ont assuré que ce n’était pas Yvan, et tous les essais pour prouver sa culpabilité se sont soldés par des échecs. Et malgré cela, le juge l’a condamné à perpète, sur la base de son intime conviction (il n’y avait aucune pièce cachée au dossier, et tout le monde a pu se rendre compte tout au long du procès de l’absence de preuves, je ne reviendrai pas là-dessus aujourd’hui).

Alors je me suis demandé comment j’aurais fait, histoire de ne pas me contenter de critiquer vainement la justice. Et même si tout le monde s’en fout, je vais le dire ici.

Moi, j’ai l’intime conviction qu’il est innocent du crime qu’on lui reproche, et j’ai certainement plus d’éléments pour juger l’homme (pas les preuves) qu’un juge qui l’a côtoyé pendant seulement 5 semaines de derrière son comptoir.

Mais si on m’avait demandé de le juger, j’aurais mis mon intime conviction de coté. Et j’aurais cherché des preuves. Et si je ne les avais pas trouvées, j’aurais cherché encore, et mieux que le juge d’instruction qui n’a finalement rien trouvé. Et j’aurais fouillé d’autres pistes, jusqu’à ce que je trouve quelque chose. Et si malgré ma pugnacité, malgré avoir fouillé toutes les pistes possibles, je n’avais pas trouvé de preuves réelles, mais que je n’avais pas pu prouvé son innocence non plus, eh bien j’aurais été obligé de le libérer. Tant pis pour moi si je me trompe, on ne condamne pas un homme sans preuve. Si vraiment le juge l’a mauvaise, alors qu’il condamne le juge d’instruction pour n’avoir pas fait son boulot.

C’est sûr que c’est un peu simplifié, mais ça donne l’esprit que je pense être celui de l’honnêteté.

Comment peut-on parler de procès équitable, si celui-ci peut se solder par une condamnation en l’absence de preuves ? Qui détermine l’équitabilité ? Faudra-t-il faire passer des tests d’équitabilité au juge ?

Certains journalistes ont parlé de "la peur des épouses des membres du commando lorsqu’elles sont venues dire qu’Yvan était innocent à la barre". Et ont présenté cela comme une preuve de sa culpabilité. On est en pleine psychanalyse de comptoir. Qu’est-ce qu’ils utilisent ces journalistes ? Un détecteur de mensonge à distance ?

Bref, que peut-on faire ?

Peut-être rien, mais c’est la réponse que je déteste le plus. Je n’aime pas non plus les réponses révolutionnaires ou les réponses qui fustigent la société et ses gouvernants.

La réponse est certainement dans l’expression des individus sur ce procès. Nombreux sont ceux qui ont pensé que quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire. Nombreux sont ceux qui sans cautionner un instant ce crime terroriste, ont frémi à l’idée que nous puissions condamner un innocent. Si chacun d’entre nous le disait, écrivait aux journaux, s’exprimait d’une manière ou d’une autre, cela pourrait avoir un impact. Parce que de deux choses l’une : soit c’est un procès équitable, et alors cela ne changera rien, ni en bien ni en mal, soit c’est un procès politique, et alors l’opinion publique compte. Elle compte beaucoup.

Il ne s’agit pas de dire qu’Yvan est innocent ou pas, car cela, peu nombreux sont ceux qui peuvent l’affirmer avec certitude, si ce n’est en se basant sur leur intime conviction, ce que nous avons écarté par postulat de départ. Il ne s’agit pas d’en faire son propre cheval de bataille politique, car le premier qui y perdrait, ce serait l’accusé.

Mais il s’agit bien de poser la question : peut-on condamner un homme sans preuve, en s’en remettant à l’intime conviction d’un juge ? Parce que cette question appartient aux gens, pas à un dirigeant ni à un magistrat. Il s’agit des fondements mêmes de notre constitution et de notre attachement à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Et nous avons le droit (voire le devoir) d’avoir une opinion dessus. Et de le dire.

Et je pense que cette question contient une vérité qui la fera parvenir aux oreilles des princes. Elle semble évidente, je n’ai pas le privilège de l’avoir inventée, mais si nous ne la posons pas, elle ne servira à rien, elle non plus.

A cette question de savoir si l’on peut condamner un homme sans preuves, je réponds non, après y avoir mûrement réfléchi. Votre réponse vous appartient. Faites-là connaître. Ce que chacun d’entre nous fait a son importance. Toujours, comme dans les films de Frank Capra.

Et à toi Yvan, que les étoiles bénissent ton chemin et que ton courage porte ses fruits. Et pour qu’il n’y ait pas d’équivoque, je parle du courage qui te permet de garder la tête froide malgré ces années d’emprisonnement, de te battre encore, et d’aimer toujours.

Publié dans Justice

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